Depuis son accession au pouvoir en 2016, le président Patrice Talon a toujours prôné la rupture avec les anciennes pratiques politiques. Pourtant, sa gestion récente des postes ministériels soulève des interrogations au sein même de sa mouvance politique. Plutôt que de procéder à un remaniement classique, le chef de l’État béninois opte pour une concentration des responsabilités entre les mains de quelques ministres déjà en fonction.
Que cachent les cumuls ?
L’exemple le plus frappant reste celui de José Tonato, qui illustre parfaitement cette nouvelle donne gouvernementale. Initialement ministre du Cadre de vie, il s’est vu confier successivement le portefeuille des Transports, laissé vacant par le départ de Hehome au lendemain des élections législatives, puis celui des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, suite à l’éviction d’Akponna Paulin après ses déclarations controversées à Parakou.
Cette tendance s’est confirmée avec la nomination de Véronique Tognifide, déjà ministre de la Famille, qui a hérité du portefeuille du regretté ministre Jean-Yves ouaro après son décès tragique. Ces cumuls successifs dessinent une nouvelle architecture gouvernementale où quelques personnalités concentrent un pouvoir considérable.
Des soutiens laissés sur le carreau
Cette stratégie du cumul interpelle d’autant plus qu’elle prive de nombreux cadres et soutiens du président de leur chance d’accéder aux responsabilités gouvernementales. Depuis l’avènement de la “rupture”, plusieurs personnalités qualifiées et loyales attendent leur tour de nomination, observant avec amertume la concentration croissante des portefeuilles.
Ces cadres, souvent issus de différentes localités du pays, représentent pourtant un capital politique non négligeable. Leurs familles et leurs réseaux d’influence constituent autant de relais potentiels pour la mouvance présidentielle, particulièrement à l’approche des joutes électorales de 2026.
Un calcul politique risqué
À première vue, la logique du cumul peut sembler pragmatique : elle évite les remous d’un remaniement, maintient une certaine stabilité et place des fidèles éprouvés à des postes stratégiques. Cependant, cette approche comporte des risques politiques considérables.
D’abord, elle génère des frustrations au sein de la mouvance présidentielle. Les cadres écartés peuvent développer un sentiment d’injustice et remettre en question leur engagement. Ensuite, elle prive le gouvernement de nouvelles énergies et de compétences fraîches qui pourraient dynamiser l’action gouvernementale.
L’enjeu territorial négligé
Plus préoccupant encore, cette concentration des responsabilités néglige l’impératif de représentativité territoriale. Dans un pays où les équilibres régionaux restent cruciaux, l’absence de nouveaux visages issus de différentes localités peut être perçue comme un déséquilibre. À l’approche de 2026, cette dimension géopolitique interne pourrait s’avérer déterminante pour mobiliser les bases électorales dans toutes les régions du Bénin.
Une opportunité manquée de renouvellement
Le choix du cumul représente également une opportunité manquée de renouveler l’image du gouvernement. Alors que l’opinion publique béninoise aspire souvent à voir de nouveaux visages et de nouvelles approches, la reconduction des mêmes personnalités à des postes multiples peut donner une impression de stagnation.
Cette situation contraste avec les promesses initiales de rupture et de renouvellement qui avaient caractérisé l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir. Les observateurs politiques s’interrogent sur les motivations réelles de cette stratégie : prudence excessive, méfiance vis-à-vis de nouveaux profils, ou calcul politique plus subtil ?
L’urgence d’une réflexion stratégique
À la veille des prochaines échéances électorales, cette question du renouvellement gouvernemental devient cruciale. La mouvance présidentielle dispose encore de temps pour corriger le tir et intégrer de nouveaux talents, mais la fenêtre d’opportunité se rétrécit.
Un véritable remaniement permettrait non seulement de récompenser la fidélité des soutiens, mais aussi d’insuffler une dynamique nouvelle et de renforcer l’ancrage territorial du gouvernement. Il s’agirait également d’un signal fort adressé aux militants et sympathisants, montrant que la méritocratie et l’inclusion restent des valeurs centrales de la “rupture”.
La stratégie actuelle de Patrice Talon, privilégiant le cumul de portefeuilles au détriment d’un remaniement inclusif, questionne la capacité de sa mouvance à se renouveler et à maintenir la cohésion de ses soutiens. À l’approche de 2026, cette approche pourrait se révéler contre-productive, privant le président sortant de précieux relais territoriaux et créant des frustrations au sein de son camp politique. L’heure est peut-être venue pour le chef de l’État béninois de repenser sa stratégie gouvernementale, en privilégiant l’ouverture et le renouvellement plutôt que la concentration des responsabilités. L’avenir électoral de sa mouvance pourrait bien en dépendre.
Akuèmanho G